Le picaro et la voie du milieu
Résumé
Personnages de losers, parasites, fous, adultes naïfs ou enfants lucides, reclus, héros paradoxaux aux valeurs ambiguës, à travers ce motif du picaro, le cinéma de Bong Joon-ho se plaît à nuancer tout idéalisme, dans un monde pourtant binaire, mais contrasté et cyclique, où se confrontent sans manichéisme ni utopisme l’occident et l’orient, la ville et la ruralité, les puissants et les opprimes, les bavards et les taiseux, cela au profit d’un projet esthétique tendant à faire ressentir le « contraste entre les petites choses banales de la vie et les événements qui les dépassent ».
Dans cet article est menée une analyse transversale du motif, occidental, du picaro dans l’œuvre de Bong Joon-ho, qui structure ses récits filmiques sur la base d’une lutte des classes dans une représentation du monde animiste. Par delà la confrontation de cette représentation binaire du monde entre Occident et Orient, riches et pauvres, représentants du pouvoir et opprimés, j’ai montré que la veine picaresque dans le cinéma de Bong Joon-ho véhicule, au sein d’un monde capitaliste en crise, une réflexion philosophique universelle sur l’homme dans sa quête, toute orientale, du dao, la « voie du milieu » ; elle s’exprime au cinéma, non pas dans le dépassement et la dénonciation des apparences comme en littérature, mais à la surface des choses. Dans ce monde en lutte, l’utopie cède le pas à la contemplation rêveuse et naïve d’un présent vibrant et d’une nature dont il revient au film de traduire la fragilité et la saveur à même la peau.